Aucune des deux mon Capitaine, nous sommes actuellement dans la vie pendant ! Tout devrait aller pour le mieux, la sortie de confinement (le déconfinement sera pour un peu plus tard) se profile pour le 11 mai… Enfin si tout va bien, si notre département est vert et pas rouge, si on est un adulte qui travaille ou un enfant en primaire, si on ne travaille pas dans café/bar/restaurant, si on ne se déplace pas dans un rayon de plus de 100km, bref avec des “si”… Edouard Philippe a annoncé depuis moins d’une semaine les conditions de cette première étape et déjà on peut constater soit des esprits qui se réjouissent, soit d’autres qui s’inquiètent et le font fortement savoir. Autant le dire tout de suite la vie pendant, c’est la pire à gérer…
Je vais faire un parallèle, peut être malheureux, mais la période que nous vivons me parait finalement assez proche à ce que peut vivre un être humain lorsqu’il est confronté à une maladie de longue durée. J’ai la “chance” d’accompagner des femmes touchées par un cancer dans le cadre de leur Retour à l’Emploi (cf la page Engagement Personnel de ce site). Je parle bien de “chance” car il s’agit aussi pour moi de faire le plein de compétences de Vie, de Survie chez ces femmes qui pourraient être inspirantes pour bon nombre d’entre nous. Ne vous méprenez pas, je ne cherche pas à idéaliser le cancer qui serait banalisé comme une expérience de vie permettant de cheminer vers la résilience et en sortir grandi. Non, le cancer c’est une belle saloperie qui broie des vies, des familles au sens propre comme au sens figuré…
Aujourd’hui, 50% des personnes traitées guérissent et peuvent espérer reprendre le cours de leur vie professionnelle. Reste que ce chemin est semé d’embûches (30% des personnes touchées par un cancer perdent leur job dans les 2 années qui suivent le diagnostic) et que le cours de la vie a pris un sacré coup derrière l’oreille. C’est dans ce cadre que je trouve ce fameux parallèle.
Il y a la vie d’avant : agréable ou délicate à vivre, peu importe, mais c’était un point de repère essentiel pour chacun d’entre nous pour tout ce que nous connaissions jusque-là. Nos jobs, les restaurants avec les amis, les sorties au cinéma et les ballades familiales que nous pouvions faire tranquillement sans nous soucier de quoi que ce soit. Puis vient le moment terrible et effrayant du diagnostic ou pour ce qui nous concerne la découverte des ravages qu’a pu faire ce virus. Cette étape a été concomitante avec la mise en place du confinement. On constate généralement des comportements qui correspondent également aux étapes de Choc et de Déni identifiées par Elizabeth Kübler-Ross dans ses travaux sur le Deuil. Ceci était assez flagrant le week-end du 15 mars avec des individus qui fêtaient la fermeture des restaurants le samedi soir, se regroupaient dans les parcs le dimanche après-midi pour profiter de la météo printanière. Les organisations étaient également bousculées en maintenant par exemple le 1er tour des élections municipales. J’étais moi-même assesseur dans un bureau de vote ce dimanche-là, donc pas meilleur que les autres.
Et enfin, il y a la vie d’après : la guérison ! Voilà le moment tant espéré et attendu par une personne touchée par une longue maladie. Le moment où la personne peut débuter la vie d’après. Celle-ci est forcément différente car il y a des séquelles physiques tout d’abord. Les stigmates des cicatrices opératoires ou la fatigue liée aux traitements restent présents pour rappeler quotidiennement à la personne qu’elle a été touchée par une maladie grave au cas où celle-ci aurait l’intention de vouloir l’oublier un tant soit peu… Il y a également les séquelles psychologiques qui font que la personnes ne peut reprendre le cours de sa vie d’avant soit du fait des contraintes précédemment citées, soit par choix volontaire de donner plus ou moins fortement une nouvelle direction à sa vie. C’est la dernière phase qui correspond à l’ultime étape de Développement dans les travaux d’Elizabeth Kübler-Ross et qui correspondra pour nous au jour où un vaccin sera identifié, produit et inoculé en masse pour que nous puissions démarrer la vie d’après.
Et la vie pendant, alors ? La vie pendant, je ne vais pas y aller par 4 chemins, c’est le bordel ! La vie pendant pour une maladie longue durée, c’est tout d’abord se retrouver confronté à une dure réalité : nous sommes mortels. Ça parait évident de le dire mais quand on y est confronté, ce n’est pas la même chose que de le vivre. Cette perception nouvelle de la mort implique en conséquence un rapport nouveau à la vie. Les pensées morbides, aussi naturelles soit elles, expliquent les excès de panique et la difficulté à détacher notre regard vers la mort. C’est aussi pourquoi les chaines d’infos continue ainsi que les interventions quotidiennes de Jérôme Salomon sont autant suivies tout comme une personne touchée par le cancer ne parvient pas à chasser de sa tête l’éventualité de sa propre mort.
Ensuite, viennent les traitements et les effets de ceux-ci. J’en ai déjà parlé pour les gens touchés par une maladie de longue durée mais pour notre société, quels sont ils ? Le confinement va déboucher sur une crise économique, c’est un secret de polichinelle : licenciements, fermeture d’usines et de commerce… D’autres désastres d’ordre social sont également en cours de manière plus silencieuse : violence conjugale et familiale, autres malades qui ne vont pas se soigner, dépression et dépendances se révéleront à leur tour au grand jour.
Nous arrivons à un moment où le traitement va prendre fin et avec lui toutes les angoisses de rechute. Le 11 mai si tout va bien, nous ne serons qu’en rémission finalement avec au-dessus de notre tête cette épée de Damoclès que pourrait être la 2ème vague de l’épidémie. C’est parfois une période très compliquée à vivre pour les personnes touchées par un cancer car cela correspond à la fin d’une période où ils se laissent guider à juste titre par les médecins et du jour au lendemain la routine et l’énergie nécessaire pour supporter les traitements ne sont plus là. Le combat s’arrête et l’énergie nécessaire jusque-là commence à manquer. C’est aussi le moment où les questions de vie, de survie, de choix de vie viennent naturellement à l’esprit des personnes et ce, de manière très consciente ou complètement inconsciente.
Il y a 3 pensées principales qui apparaissent à ce stade, sans qu’aucune chronologie ne les hiérarchise. Il y en a certainement d’autres et surtout, il faut être conscient qu’il ne s’agit pas là de pensées uniques mais d’une réflexion qui évolue (ou pas) dans le temps et j’observe parfois un mix entre ces 3 pensées :
- Je veux retrouver ma vie d’avant
- Je ne parviens pas à tourner la page
- Je veux aller de l’avant
Avec “je veux retrouver ma vie d’avant”, la personne fournit des efforts titanesques pour retrouver sa vie d’avant et considère sincèrement que la maladie ne l’a pas changée malgré les séquelles. “Je n’ai pas réussi à tourner la page” implique que la personne souhaite tourner cette page mais qu’il y a un constat d’échec face à cette volonté à cet instant T. “Je veux aller de l’avant” traduit la volonté de profiter de cet “épisode de la vie” pour effectuer une métamorphose, une forme de renaissance. Vous pouvez maintenant mieux cerner le parallèle dont je parlais au début de cet article.
Dans la crise actuelle, nous avons d’un côté, les défenseurs du monde de demain : prise en conscience écologiste, rapport nouveau à la place du travail dans la vie, commerce équitable et durable… De l’autre ceux qui espèrent que rien ne changera, que tout redeviendra comme avant et que nos vies resteront inchangées. Au milieu ceux qui voudraient bien aller de l’avant, communiquent sur des changements à venir mais dont les logiciels pour l’instant ne permettent pas de faire cette mise à jour et migrer vers cette version 4.6 intéressante mais un peu encore effrayante.
Dans les entreprises, nous pouvons trouver aujourd’hui certains responsables qui se prononcent clairement pour le retour le plus rapide de tous leurs collaborateurs dans les bureaux faisant fi des recommandations sanitaires pour s’assurer le plus rapidement possible d’un rattrapage du chiffre d’affaires perdu, d’une rentabilité en berne. Pression issue des actionnaires qui espèrent que les KPI’s se rétablissent ASAP. Une amie me faisait part hier soir au téléphone de la pression que subissait sa fille pour retourner dans les bureaux de son entreprise à La Défense dès le 11 mai alors qu’elle venait de toucher une prime pour reconnaitre sa réactivité et son implication pendant cette période de télétravail forcé. L’illusion de la vie d’avant est parfois tenace mais va se crasher face à la réalité du 11 mai : port du masque, distanciation spatiale entre collaborateurs, gestes barrières qui vont nous empêcher de nous faire la bise, se serrer la main, d’avoir un contact humain… Vous trouvez vraiment que ça ressemble à la vie d’avant ? Les séquelles vont être très visibles et pour un certain temps encore.
A l’autre bout de la chaine, nous avons des collaborateurs qui ont réussi à faire cohabiter leurs vies personnelles avec leurs vies professionnelles et sont en quelque sorte devenus des auto-entrepreneurs au sein de leurs entreprises : adaptation, autonomie nouvelle que l’éloignement du management n’a pas eu tendance à étouffer. Ils aspirent aujourd’hui à une nécessaire adaptation de leurs conditions de travail. D’autres moins visibles jusqu’ici tels les ouvriers des chaines de production, les caissières des supermarchés, le personnel soignant ont bénéficié d’une sincère reconnaissance et espèrent légitimement que celle-ci perdurera dans la vie d’après. On trouve également beaucoup de remise en cause de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, comme si ce confinement avait permis à certains collaborateurs de découvrir qu’il y a une vie en dehors du travail et que finalement, nous n’en avons qu’une seule…
Je tiens tout de suite à rassurer les managers et autres dirigeants d’entreprise, dans le cadre des accompagnements que j’ai réalisé, je n’ai pas encore connu de personnes qui change radicalement de vie en abandonnant par exemple une carrière de cadre dirigeant pour aller élever des chèvres dans le Larzac. Le changement identitaire est profond mais il s’exprime assez souvent dans un contexte professionnel assez proche de celui de la vie d’avant. En entreprise, il peut être espéré des évolutions d’organisation sans que cela pousse à un chamboule-tout général de l’entreprise.
Toutes les organisations font aujourd’hui face à ces interrogations : Etats, Organisations supra-nationale comme l’UE, Entreprises, Administrations, Associations, Familles et bien évidemment nous tous en tant qu’individus. Il est logique et normal qu’aujourd’hui tout le monde se sente pris au dépourvu et ne parvienne pas encore à se positionner clairement. Une rupture de vie (comme celle liée à une maladie longue durée ou un accident grave) ne se gère pas du jour au lendemain. Alors, comment faire pour vivre cette vie du pendant ? Honnêtement, je ne suis pas le mieux placer pour répondre à cette question et si je me fie aux expériences d’accompagnement avec des Ladies Roses (c’est comme cela qu’on appelle les adhérentes à La Maison Rose à Bordeaux), je peux affirmer qu’il n’y pas de réponse définitive et exclusive à cette question (ou du moins si quelqu’un en a une, qu’il me fasse un signe). Elles seraient les plus à même d’y répondre car in fine, ce sont bien elles qui parviennent à effectuer ce cheminement. Le rôle d’un coach n’est que d’accompagner une personne en gardant à l’esprit que la personne est plus experte d’elle-même que n’importe qui. Je garde aussi à l’esprit que les personnes qui traversent une maladie de longue durée, développent sans s’en rendre compte des capacités et compétences dont elles n’ont souvent pas conscience pour “sur-vivre”.
Pour autant je peux identifier plusieurs points communs pour celles qui parviennent à effectuer plus facilement ce passage de la vie d’avant à la vie d’après :
- Prise de conscience que la vie ne pourra plus jamais être celle d’avant
- Identification des valeurs et des actions qui ont été utiles durant la période des traitements
- Mise en évidence des expériences de la vie d’avant qui ont permis à la personne de dépasser une difficulté (aussi simple fut-elle)
- Définition d’un Projet de vie et d’une Ambition pour la vie d’après
Le parallèle est donc pour nous d’appréhender ces quelques points de réflexion (il y en a certainement d’autres) pour faire face à la vie pendant que nous connaissons actuellement. Si ce travail peut être effectué à titre individuel, il peut bien évidemment être fait à titre collectif. Les responsables d’organisations pourraient donc avoir ces idées en tête pour aborder la reprise de l’activité. Certes, la crise est déjà présente, elle va être dure et nous avons tous les compétences de vie et de survie en nous pour la dépasser. Par contre, il est certain que si on se laisse embarqué par cette crise en ayant la volonté de l’affronter avec les logiciels de la vie d’avant, j’ai bien peur que ce soit bien plus compliqué. L’enjeu pour les responsables est de se poser, écouter sincèrement les équipes quant à leurs attentes, espoirs… Qu’est ce que cette crise a généré de nouveau qui pourrait s’adapter au contexte de l’entreprise ? La réactivité des collaborateurs pour gérer leurs vie pro et perso sont autant d’atouts pour les organisations pour réussir la vie pendant et arriver à gérer la vie d’après. Il serait dommage de ne pas exploiter cette richesse…